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jeudi 9 mai 2013

Je suis inutile



by PAULO COELHO on MAY 8, 2013
un chapitre du livre LE MANUSCRIT RETROUVÉ

Certaines personnes disent : « Je ne parviens pas à éveiller l’amour des autres. » Mais dans l’amour resté sans réponse il y a toujours l’espoir qu’un jour il soit accepté.
D’autres écrivent dans leur journal : « Mon génie n’est pas reconnu, mon talent n’est pas apprécié, mes rêves ne sont pas respectés. » Mais pour ceux-là aussi, il y a l’espoir que les choses changent après beaucoup de luttes.
D’autres encore passent leur temps à frapper aux portes en expliquant : « Je suis au chômage. » Ils savent que, s’ils ont de la patience, une porte s’ouvrira un jour.

Mais il y a ceux qui se réveillent tous les matins le cœur lourd. Ils ne sont pas en quête d’amour, de reconnaissance, de travail.

Ils se disent : « Je suis inutile. Je vis parce que je dois survivre, mais personne, absolument personne, ne s’intéresse à ce que je fais. »

Le soleil brille dehors, la famille est autour, ils veulent conserver le masque de la joie parce qu’aux yeux des autres ils ont tout ce dont ils ont rêvé. Mais ils sont convaincus que tout le monde peut se passer d’eux. Ou bien parce qu’ils sont trop jeunes et constatent que les plus âgés ont d’autres préoccupations, ou bien parce qu’ils sont trop vieux et jugent que les plus jeunes se moquent bien de ce qu’ils ont à dire.

Le poète écrit quelques lignes et les jette à la poubelle, pensant : « Cela n’intéresse personne. »
L’employé arrive au travail et ne fait que répéter la tâche de la veille. Il est convaincu que si un jour il est licencié, personne ne remarquera son absence.
La jeune fille coud sa robe en s’appliquant à chaque détail et, quand arrive la fête, elle comprend ce que disent les regards : elle n’est ni plus jolie ni plus laide qu’une autre, ce n’est qu’une robe de plus parmi des millions d’autres partout dans le monde où, à ce moment précis, des fêtes semblables ont lieu. Certaines dans de vastes châteaux, d’autres dans de petits villages où tout le monde connaît tout le monde et à quelque chose à dire sur la robe des autres.
Sauf sur la sienne, qui est passée inaperçue. Elle n’était ni jolie ni laide, c’était seulement une robe de plus.
Inutile.
Les plus jeunes se rendent compte que le monde est bourré d’énormes problèmes qu’ils rêvent de résoudre, mais personne ne s’intéresse à leur opinion. « Vous ne connaissez pas encore la réalité du monde », entendent-ils. « Écoutez les plus vieux et vous saurez quoi faire. »
Les plus vieux ont acquis expérience et maturité, ils ont appris durement de l’adversité, mais quand vient l’heure de transmettre leur savoir, cela n’intéresse personne. « Le monde a changé », entendent-ils. « Il faut accompagner le progrès et écouter les plus jeunes. »
Sans respecter l’âge et sans demander la permission, le sentiment d’inutilité ronge l’âme, répétant toujours : « Personne ne s’intéresse à toi, tu n’es rien, la planète n’a pas besoin de ta présence. »
Dans l’intention désespérée de donner un sens à leur vie, beaucoup se tournent vers la religion, parce qu’une lutte au nom de la foi paraît toujours la preuve d’une certaine grandeur, qui peut transformer le monde. « Nous travaillons pour Dieu », se disent-ils.
Et ils se transforment en dévots. Ensuite ils se transforment en évangélistes. Et finalement en fanatiques.
Ils ne comprennent pas que la religion a été faite pour partager les mystères et l’adoration — jamais pour opprimer et convertir les autres. La plus grande manifestation du miracle de Dieu est la vie.
Ce soir, je pleurerai sur toi, ô Jérusalem, parce que cette compréhension de l’Unité Divine va disparaître dans les mille ans prochains.

*

Demandez à une fleur des champs : « Te sens-tu inutile, puisque tu ne fais que reproduire d’autres fleurs semblables ? »
Elle répondra : « Je suis belle, et la beauté en soi est ma raison de vivre. »
Demandez à un fleuve : « Te sens-tu inutile, puisque tu ne fais que couler toujours dans la même direction ? »
Il répondra : « Je n’essaie pas d’être utile, j’essaie d’être un fleuve. »
Rien dans ce monde n’est inutile aux yeux de Dieu. Ni une feuille qui tombe de l’arbre, ni un cheveu qui tombe de la tête, ni un insecte qui est mort parce qu’il dérangeait. Tout a une raison d’être.
Y compris toi qui viens de poser cette question. « Je suis inutile » est une réponse que tu te donnes à toi-même.
Bientôt elle t’aura empoisonné et tu seras un mort vivant — même si tu continues à marcher, manger, dormir et tâcher de t’amuser quand ce sera possible.
N’essaie pas d’être utile. Essaie d’être toi : cela suffit et cela fait toute la différence.
Ne marche ni plus vite, ni plus lentement que ton âme. C’est elle qui t’apprendra quelle est ton utilité à chaque pas. Parfois, c’est prendre part à un grand combat qui contribuera à changer le cours de l’Histoire. Mais parfois c’est simplement sourire sans motif à quelqu’un que tu as croisé par hasard dans la rue.
Sans en avoir la moindre intention, tu as pu sauver la vie d’un inconnu qui lui aussi se jugeait inutile, et qui était peut-être sur le point de se tuer, jusqu’à ce qu’un sourire lui donne espoir et confiance.

Source: http://paulocoelhoblog.com/2013/05/08/je-suis-inutile/

5 commentaires:

  1. Et toi, tu te sens inutile? Moi, c'est rare... j'ai pas le temps! :)

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    1. Je ne me sens pas "inutile" mais parfois jme demande c'est quoi exactement ma mission...parfois c'est clair mais y'a quand même des périodes floues. Puis pour certaines personnes qui voeint noir, je trouve que ce texte peut apporter certaines réponses...

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  2. De rien :)
    Vos articles m'intéressent beaucoup. Je reviendrai flâner par ici bientôt. Merci pour le partage...

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